L’Algérie négocie en ce moment son plus important virage politique et historique. Le défi est immense : lancer une véritable transition démocratique et reconstruire un nouveau système de gouvernance. Pour réussir un tel projet, les Algériens doivent comprendre cette vérité : le rôle de l’institution militaire et de son haut commandement est absolument vital.
Les chercheurs les plus patentés dans le champ des sciences politiques sont unanimes pour affirmer que la relation entre les autorités civiles et les institutions militaires est un élément vital de la gouvernance démocratique.
Toutefois, trop nombreux sont les pays en transition pour lesquels l’équilibre entre le savoir et le pouvoir penche lourdement en faveur des institutions militaires et permet aux militaires d’exercer une influence politique excessive. Lorsque les militaires peuvent agir en jouissant d’une grande autonomie sans aucune transparence ni contrôle civil, il est presque impossible de délimiter leur rôle dans la politique nationale et d’assurer leur intervention dans les limites des paramètres démocratiques. Or, la démocratie n’est pas possible sans un contrôle effectif des forces armées par les civils, appliqué à travers des mécanismes constitutionnels, législatifs et budgétaires, autant que par le professionnalisme de l’armée. C’est exactement ce que l’Algérie doit construire et bâtir dans les mois à venir pour sortir de la crise actuelle qui paralyse le pays.
Aucune issue à cette crise n’est possible ou imaginable sans un accompagnement franc et sincère du haut commandement militaire de l’ANP. Dieu merci, force est de constater que ce haut commandement militaire est, pour l’heure, favorable à la majorité des revendications populaires notamment concernant la moralisation de la vie politique et la lutte contre la corruption. En dépit de toutes les critiques amères et sévères qui sont adressées en permanence au Chef d’Etat-Major de l’ANP, Gaîd Salah, ce dernier n’a commis, pour l’heure, aucun dérage majeur. On peut lui reprocher l’emprisonnement d’une femme politique comme Louisa Hanoune, mais l’homme fort de l’armée algérienne compte à son actif depuis le 22 février dernier, date du lancement des manifestations grandioses du mouvement populaire algérien, une ligne de conduite qui honore l’armée algérienne : aucune répression massive ni arrestations musclées n’ont ciblé les manifestants algériens.
Contrairement à d’autres pays africains, le chef de l’armée algérienne n’a saisi l’occasion fournie par le mouvement populaire pour s’emparer du pouvoir avec des chars qui débarquent à la Présidence de la République. Et même s’il détient à lui-seul indirectement tous les pouvoirs politiques, il n’a pas instrumentalisé ses nouveaux privilèges pour imposer sa propre personne à la tête du nouveau pouvoir algérien.
La situation est donc claire : Gaïd Salah ne se comporte pas en maréchal Abdel Fattah al-Sissi. L’homme fort de l’armée algérienne est beaucoup plus âgé et heureusement beaucoup plus sage. Il écarte les solutions brutales comme l’Etat d’Urgence ou la répression des masses. Il a balayé d’un revers de la main les solutions anti-démocratiques. N’en déplaise à ces adversaires, ces vérités doivent être dites aux Algériens.
Mais pour que Gaïd Salah entre dans l’histoire par la grande porte, il doit absolument s’inspirer des cas particuliers des transitions espagnoles et portugaises à la fin des années 1970 où les armées ont soutenu la démocratisation de leur pays.
Si l’armée algérienne reste encore intégrée au système de coercition du régime non-démocratique, son action aura davantage de chance de pousser vers le statu quo et la non-démocratisation. Au contraire, Gaïd Salah et les autres membres du haut commandement militaire doivent libérer l’armée de façon complète dans ce système et dans ce contexte, le soutien qu’elle peut apporter au processus de démocratisation ou sa passivité sont plus probables.
Plusieurs expériences internationales ont démontré que l’armée ne peut être exclue de l’architecture de l’État avant la transition démocratique, « elle fait donc parité des institutions plus ou moins privilégiée par la situation », comme l’explique brillamment le chercheur français Pierre-Yves Mellin. Il est donc logique que certains des membres du haut commandement militaire algérien adoptent « des attitudes conservatrices », à savoir des attitudes qui paraissent au départ hostiles aux revendications populaires des Algriens. Les forces démocratiques doivent donc assurer aux militaires certaines garanties pendant la période de transition. L’attitude des militaires face au processus de démocratisation est largement conditionné par l’attitude des autorités transitoires. Aux démocrates algériens de gagner la confiance de Gaïd Salah et de ses autres collègues pour permettre à l’Algérie de tourner la page de la dictature.
C’est par exemple ce qui s’est passé en Espagne, où pendant les premiers mois de la transition, le Roi et le Premier Ministre consultait régulièrement les généraux pour les prévenir de la mise en place de telle ou telle réforme. Cette coopération ne dura toutefois pas, car comme nous avons pu le dire plus haut, la légalisation du Parti Communiste Espagnol fut une surprise pour les militaires et la réaction de certains d’entre eux aurait sûrement pu être évitée si le processus de négociation et de prudence avait été totalement suivi. Toutefois, l’armée s’est globalement cantonnée à un rôle passif durant la transition grâce à l’immense aura du Roi, Juan Carlos. Celui-ci joua à merveille la carte de son passé militaire pour montrer aux militaires la justesse de son engagement démocratique. La relation au armée-politique en Espagne fut avant tout fondée sur une légitimité charismatique forte du pouvoir royal. Bien évidemment, cette configuration n’est pas la norme et l’Algérie n’est pas une monarchie.
Au Portugal, c’est une partie de l’armée qui fait la Révolution et qui s’instaure durant la transition comme une véritable force politique. La relation de l’armée avec le pouvoir politique est donc plus difficile à saisir, car les rôles ne sont pas clairement définis. L’enjeu du rôle politique des militaires durant la démocratisation au Portugal sera la bonne restitution du pouvoir politique au pouvoir civil. De novembre 1975 à juillet 1976, une période de transition permet le passage progressif à un système parlementaire organisé. À moins d’être légalement élus, les militaires se retirent du devant de la scène et réintègrent les casernes, avec pour premier objectif la restauration d’un fonctionnement hiérarchique efficace. Renonçant à son rôle d’orientation politique et malgré des débats internes très vifs, le M.F.A. s’efface peu à peu. Le gouvernement regagne progressivement le contrôle des décisions et de l’administration chargée de les appliquer. Les mouvements sociaux s’atténuent rapidement, et, à mesure que le travail reprend, la peur du chômage l’emporte sur le désir d’avancées sociales nouvelles. Comme nous l’avons déjà mentionné, la hiérarchie militaire apportera son plus grand soutien au respect des élections de 1976, y voyant l’opportunité de dépolitiser une armée très engagée.
L’Algérie peut donc s’inspirer de cette expérience réussie et pour ce faire, les Algériens doivent considérer que le rôle de l’armée est véritablement comparable à celui d’un acteur politique dans le processus de transition.
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