En Algérie, il n’y a pas que les importateurs ou les oligarques véreux qui surfacturent pour détourner des devises. Les responsables de certaines directions et agences de la compagnie publique Sonelgaz recourent à ce procédé pour se remplir les poches. Des documents en notre possession prouvent que des agents de la Sonelgaz ont mis en place tout un système pour « surestimer » la consommation électrique des abonnés ordinaires ou d’institutions publiques pour obtenir des primes de performance. Des primes qui peuvent varier entre 100 mille DA et un million de DA par an, voire plus dans certains cas particuliers.
La sonnette d’alarme a été tirée en 2009, par une responsable de Sonelgaz au niveau de la Direction de distribution d’électricité et de gaz de Béjaïa. Dans ce document interne, que nous révélons à nos lecteurs, cette responsable de Sonelgaz dénonce clairement des consommations électriques gonflées de « manière excessive, grave et irréelle », lit-on dans ce document. Il s’agit plus précisément de consommations électriques comptabilisées et facturées sur des compteurs « non utilisés » ! En clair, une véritable manoeuvre de surfacturation qui permet à des responsables et cadres des agences de Sonelgaz de Béjaïa de faire payer à de simples usagers des sommes d’argent conséquentes pour des consommations fictives. Selon plusieurs sources internes à Sonelgaz, des consommateurs ordinaires ont été contraints à payer des factures de 24 mille, 30 mille ou 45 mille DA alors que leur consommation réelle est bien inférieure.
Comment est-ce possible ? Le procédé est en réalité simple : des chefs de services de la Sonelgaz orchestrent le gonflage du volume de la consommation en inventant la « surfacturation d’index ». Plusieurs agents de la Sonelgaz contactés par nos soins ont confirmé que cette pratique est exécutée sans aucun remord. D’autres cadres malhonnêtes de certaines agences de Sonelgaz procèdent à la falsification des ventes « dans le but de compléter un taux de perte très appréciable aux yeux de la hiérarchie et pour réaliser les objectifs de fin d’année », confie une source bien informée à Algérie-Focus. Il faut savoir que le prix du KW d’électricité est facturé à 4,5 DA. Et pour gonfler les factures, la consommation des usagers est portée jusqu’à 15000 kW/h. La facture finale du client algérien devient donc salée puisqu’elle est fixée à pas moins de 67500 DA dans ces conditions. Et après avoir gonflé les factures, des chefs de services envoient des agents de la petite intervention chez les abonnés pour changer les compteurs prétextant qu’ils sont défectueux. Dans plusieurs cas, ces compteurs se retrouvent jetés !
Et quand ce n’est pas ce procédé qui est utilisé, les réseaux de fraudeurs de la Sonelgaz recourent à ce qu’on appelle dans leur jargon, les « fraudes irréelles ». Il s’agit d’imputer aux abonnés des consommations variant entres 5000 à 10.000 kw/h. Ces abonnés arnaqués sont ensuite menacés par des P.V de fraude pour leur faire du chantage. Et comme souvent, ces citoyens ignorent leurs droits et devoirs. Ils finissent par plier et accepter un règlement à l’amiable de peur d’un emprisonnement d’un an au moins ou de cinq ans au plus dans certains types de fraudes réprimées d’après l’article 350 du code pénal. Et lorsque certains abonnés découvrent l’arnaque, les fausses factures de ces fraudes irréelles sont annulées et effacées du ficher du système interne des agences de Sonelgaz, comme le démontre ce document que nous avons obtenu et qui montre les montants de certaines factures supprimées :
Mais, d’après nos informations et les documents que nous détenons, ce sont les factures des institutions publiques, telles que les commissariats de police, les tribunaux ou les entreprises étatiques qui sont la cible favorite des fraudeurs indélicats de la Soneglaz. Ces institutions s’acquittent de leurs factures d’électricité d’après un procédé qu’on appelle dans le jargon, la facturation sur mémoire (FSM). Des institutions comme les tribunaux, par exemple, disposent de plusieurs compteurs électriques. Et là aussi, l’index de consommation de ces tribunaux se retrouve, souvent, modifié et surestimé. Ainsi, en 2013, à Akbou, le tribunal de cette ville de la wilaya de Béjaïa, payait des factures dont les montants variaient de manière très irrégulière : Une fois 39 millions de centimes le trimestre, une autre de plus de 40 millions de centimes et plus tard, à peine 11 millions de centimes. Et pour faire avaler la couleuvre aux gestionnaires de ce tribunal qui ne se sont pas rendus compte de l’arnaque, leur compteur a été changé par des agents de la Sonelgaz. Mais ce comportement a attisé les soupçons du Procureur de la République qui a convoqué plusieurs cadres de l’agence locale de Sonelgaz. Nous avons nous-mêmes obtenu les factures de ce tribunal dont les compteurs ont été remis à zéro, par la suite, pour effacer les traces de la surestimation de la consommation.
Face à ces pratiques scandaleuses, plusieurs lettres anonymes ont été envoyées à la gendarmerie nationale. A Béjaïa, la brigade de recherches et d’investigation de la gendarmerie a déclenché une enquête sur les réseaux frauduleux de Sonelgaz. Leur enquête a duré plus de 20 mois, a-t-on appris de sources proches de cette enquête. Le dossier aurait été officiellement transmis à la Justice. Mais cette dernière n’a pas encore bougé le petit doigt pour lancer des poursuites à propos de ces pratiques scandaleuses. Et pourtant, les gendarmes, confient nos sources, ont découvert que les pratiques de la surfacturation des agents de la Sonelgaz ont causé, rien qu’à Akbou, un préjudice financier à plusieurs abonnés ordinaires et institutionnels estimé à plus de 5 milliards de centimes entre 2006 et fin 2009.
Sollicitée par nos soins, la direction générale de Sonelgaz n’a pas souhaité réagir à cette affaire. Mais une source officielle proche du groupe Sonelgaz nous a confirmé que ces pratiques existent depuis plusieurs années. « Notre inspection générale enquête sur toutes les affaires louches et suspectes, mais ses conclusions ne sont jamais rendues publiques », explique un autre cadre dirigeant de Sonelgaz, qui a requis l’anonymat, avant de nous demander de prendre attache avec les directions régionales de Sonelgaz pour demander des éclaircissements précis. « Sonelgaz est un groupe composé de 36 filiales.
Aujourd’hui, il y a quatre sociétés de distribution d’électricité et du gaz. Ces sociétés sont basées à Alger, Constantine, Oran et Blida. Chaque société a son propre PDG et son conseil d’administration. Elles sont autonomes et elles disposent de leur propre inspection générale », explique encore un responsable de la direction des Médias du groupe Sonelgaz. A en croire ce dernier, la direction générale de Sonelgaz ne peut pas tout vérifier sur le terrain. « Mais trafiquer un compteur est techniquement impossible.
Ce sont probablement des erreurs de relève ou de saisies informatiques, » insiste-t-il. Malheureusement, la réalité ne colle guère à ces explications lénifiantes. Et en l’absence d’une réaction concrète de la Justice, plusieurs Algériens se retrouvent piégés par ces pratiques scandaleuses. Chaque année, des millions et des millions de DA sont subtilisés aux institutions, entreprises comme aux abonnés ordinaires. Jusqu’à quand cela va durer ?
L’article Enquête. Des factures gonflées et des compteurs trafiqués : comment des citoyens ordinaires et des institutions sont arnaqués par des responsables de la Sonelgaz est apparu en premier sur Algérie Part.
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