“Si vous avez des dossiers de corruption, présentez-les à la justice !” Telle était l’injonction de l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh, aux Algériens en décembre 2016. Les Algériens voyaient les affaires de corruption et de détournements de deniers publics défiler sous leurs yeux. Tayeb Louh promettait depuis des lustres qu’aucun haut responsable ne touchera à l’indépendance de la justice lorsque celle-ci est saisie pour une affaire de corruption. Quel leurre ! Algérie-Part révèle, ici, les dessous d’une affaire de détournement de logements publics et de gestion douteuse des finances d’un organisme public relevant du ministère du Travail, dirigé par Tayeb Louh de 2002 à 2013. Un dossier dans lequel de nombreux personnages de son entourage sont directement impliqués. Enquête.
De quoi s’agit-il ? Ce dossier, intitulé les logements du FNPOS, traite de la gestion chaotique de logements financés par le Fonds national de péréquation des œuvres sociales (FNPOS), un établissement public à gestion spécifique (E.P.G.S) créé par la loi 83 – 16 du 02 Juillet 1983. Sa principale mission consiste à aider et soutenir les salariés cotisants à financer l’accession à un logement social participatif ou à la construction d’un logement rural, ainsi que d’entreprendre toutes actions et mobiliser toutes sources de financement pour la création et gestion des structures de repos et de détente au profit des travailleurs salariés.
Les critères auxquels se réfèrent le FNPOS pour distribuer des logements sont l’ancienneté du salarié, sa situation sociale, le niveau de son salaire, etc. En août 2006, un certain Athmane Sebaâ a été nommé premier responsable de cet organisme à l’importance stratégique. Un organisme qui avait lancé la construction de plusieurs logements à travers de nombreuses wilayas. Avec des chantiers de 200 logements par wilaya, le FNPOS devait distribuer, entre 2006 et 2009, pas moins de 4000 logements.
Le protégé de Tayeb Louh
Ahtmane Sebaâ est un protégé du ministre Tayeb Louh. Il a, d’ailleurs, été pendant neuf ans à la tête du FNPOS. Tayeb Louh avait chargé l’un de ses bras droits, Salah Kheniche, qui est demeuré longtemps l’un des responsables du cabinet du ministre de la Justice, avec pour mission d’assurer la protection de Athmane Sebaâ. Pourtant, ce dernier a rapidement défrayé la chronique et un rapport détaillé de l’Inspection Générale des Finances (IGF), établi depuis 2008, a accablé M. Sebaâ avec preuves à l’appui. Ce rapport, dont nous détenons une copie grâce à notre collaboration avec l’Association nationale de lutte contre la corruption, dévoile toutes les pratiques frauduleuses qui ont conduit au licenciement de plus de 200 cadres intègres du FNPOS ainsi que la distribution inéquitable de plusieurs logements publics.
L’IGF a prouvé que des cadres de la Présidence de la République se sont accaparés de plusieurs appartements dans la wilaya d’Alger. Des enfants de responsables de l’UGTA, qui siégeaient dans le conseil d’administration du FNPOS, ont occupé des logements dans de nombreuses wilayas comme Oran et Sidi Bel-Abbès. Des opérateurs économiques privés, des entrepreneurs ont été avantagés en faisait fi de la réglementation en vigueur pour obtenir des marchés de construction de logements publics. Malgré des charges lourdes et des preuves accablantes, Athmane Sebaâ est resté aux commandes sans qu’aucune autorité n’ait perturbé sa quiétude.
Une plainte sans suites
Pis encore, en 2012, la cellule anti-corruption de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) a déposé plainte au niveau du tribunal de Hussein Dey à Alger, pour exiger que la vérité sur ce scandale à la suite du rapport de l’IGF soit faite. Jusqu’à aujourd’hui, cette plainte n’a pas fait bouger les juges. Elle est restée lettre morte. La LADDH a même adressé une lettre au procureur de la République auprès du Tribunal de Hussein Dey pour l’interpeller sur ce dossier sensible. Et là encore, aucune réaction.
Que dit exactement le rapport de l’IGF ?
Dans ce rapport, caché dans les tiroirs poussiéreux de la justice, il est clairement expliqué que depuis l’installation de l’actuel directeur général du F.N.P.O.S, SEBAA Athmane, en Août 2006, la gestion de cet organisme (F.N.P.O.S) a été caractérisé par plusieurs irrégularités, dépassements et malversations, plus particulièrement en ce qui concerne la passation des marchés, la gestion des moyens humains et matériels et l’attribution de logements. Une forte mobilité du personnel a été constaté depuis l’arrivée de ce responsable à la tête du F.N.P.O.S, conséquence d’un abus de pouvoir caractérisé en matière de gestion des ressources humaines.
En ce qui concerne de la distribution de logements, de nombreuses anomalies ont été enregistrées dans les modalités de sélection des bénéficiaires au niveau de certaines wilayas, plus singulièrement les wilayas d’Alger, d’Oran, de Tlemcen, de Sidi bel Abbés et de Djelfa. Ces irrégularités concernent essentiellement, l’introduction de centaines d’indus bénéficiaires en transgression de la procédure réglementaire arrêtée par la tutelle.
Par ailleurs, des retards considérables ont été enregistrés en matière de distribution de logements réceptionnés depuis plusieurs années. Ces retards sont dus essentiellement à :
> La procédure de gestion, longue et coûteuse, des prestations imposées par les instances du Fonds (Conseil d’Administration et Ministère de Tutelle)
> Personnels chargé de la gestion des prestations inexpérimenté et manquant de compétences et de qualification ;
> Manipulation des listes des bénéficiaires par l’actuel directeur général du F.N.P.O.S
> Manœuvres du directeur général du F.N.P.O.S en vue de retarder au maximum la cession au profit des bénéficiaires et ce, pour pouvoir tirer profit auprès des sociétés de gardiennage.
Il est à noter que ces retards ont causé des charges supplémentaires supportées indûment par le Fonds du fait des travaux de réhabilitation de sites et des frais engagés pour leur gardiennage. En matière de passation de marchés, plusieurs défaillances ont été enregistrées, tant au niveau de la direction générale qu’au niveau des directions des antennes régionales (D.A.R). Cette gestion a été caractérisée par des transgressions caractérisées aux procédures en vigueur et un favoritisme flagrant au profit de certaines entreprises.
Des entrepreneurs choyés et favorisés au détriment de la loi
Le constat le plus accablant dressé par l’IGF concerne surtout la consultation d’entreprises sans qu’elles n’aient au préalable un plan de charge avec les structures du FNPOS : C’est le cas notamment de ces deux entreprises (E.T.B Benkaddour Lazreg et l’E.T.B Mezouani Abdellatif) qui ont été consultées directement alors qu’elles n’avaient, au préalable, aucun plan de charge avec les directions des antennes régionales (D.A.R) concernées. A titre d’exemple, on peut citer les cas suivants :
> Marché conclu entre la direction de l’antenne régionale (D.A.R) d’Oran et l’E.T.B Benkaddour Lazreg pour la réalisation des travaux de V.R.D du projet des 264 logements à Kharrouba (W. de Mostaganem) pour un montant de 45.988.482,23 DA.
> Convention conclu entre la direction de l’antenne régionale (D.A.R) de Chlef et l’E.T.B Mezouani Abdellatif pour la réhabilitation du projet des 100 logements à Tiaret pour un montant de 2.589.578,69 DA.
Par ailleurs, il a été procédé à l’élimination des entreprises ayant été retenues initialement pour confier les marchés en fin de compte à l’E.T.B Benkaddour Lazreg sur la base d’une consultation. C’est le cas notamment des projets suivants :
o Marché de réalisation des 100 logements à SAIDA ;
o Marché de réalisation des travaux VRD des 264 logements à Kharrouba (W. de MOSTAGANEM) ;
o Marché de réalisation des restes à réaliser (R.A.R) des 40/120 logements à Sig (W.de MASCARA) ;
o Marché de réalisation des restes à réaliser (R.A.R) du lot menuiserie en bois des 50/200 logements à Djidiouia (W.de RELIZANE).
D’autre part, l’IGF a découvert également des surévaluation des coûts. C’est notamment le cas des projets suivants :
> Projet de réalisation de travaux de viabilisation du site des 1301 logements à Saoula, confié à l’E.T.B Bouafia pour un montant de 260.000.000,00 DA. Ce montant a été revu à la hausse par la conclusion d’avenants pour un montant de 40.000.000,00 DA. Contrat d’études des 1301 logements à Saoula confiés au B.E.T ArchiI Kuest pour un montant de 65.000.000 ,00 DA. Projet de réalisation de travaux de réhabilitation du siège (D.G) du fonds à Garidi pour un montant dépassant les 8.000.000,00 DA. Ces travaux n’ont pas été réceptionnés par la direction technique pour divers motifs.
Attribution de logements à des “copains” et fils de hauts responsables
Rien que dans la wilaya d’Alger, de nombreuses irrégularités et dépassements ont été découverts dans le processus d’attribution de logements du FNPOS, à l’instar de l’inexistence du «registre des demandes de logements » et du «registre des dossiers rejetés » au niveau de la DAR. Une durée très longue a été constatée entre la date limite de dépôt des dossiers (août 2005) et la date de la première réunion de la commission de wilaya pour la sélection des bénéficiaires (février 2008).
Autre anomalie : la non convocation des postulants présélectionnés en vue de compléter et de mettre à jour leurs dossiers. Cette phase de la procédure peut être très importante, sachant que la situation familiale, les conditions d’hébergement et le niveau de revenus de chaque présélectionné peuvent connaître des changements. Les PV de la commission ne comportent pas la signature de tous les membres présents et ce, en violation des dispositions de la procédure (point 6.6).
Pour ce qui est des listes des demandeurs, des présélectionnés et des bénéficiaires, un nombre de 868 demandes a été déposé après la date limite de dépôt (le 31/08/2005) prévue par l’avis de presse paru en juin 2005. Pourtant, selon la procédure en vigueur, la liste des bénéficiaires définitifs est arrêtée par la commission de wilaya à partir de la liste des postulants présélectionnés. Or, il a été constaté un nombre de 467 bénéficiaires ne figurant pas sur la liste des présélectionnés. Ce sont des noms qui ont été ajoutés par le DG après son installation :
> Des bénéficiaires au nombre de onze (11) ont obtenu une note inférieure ou égale à 40 points. Or, la liste des présélectionnés validée par la commission en date du 23/07/2007, est composé de 11760 postulants ayant tous obtenu une note supérieure ou égale à 80 points ;
> Parmi les bénéficiaires retenus en dehors de la liste des présélectionnés, figurent les catégories suivantes :
Personnel du FNPOS ;
Personnel de la Présidence de la République ;
Personnel du ministère du Travail et de la Sécurité Sociale
Proches des membres du conseil d’administration, il s’agit des cas suivants :
Houari Fouad né le 04/11/1972 fils de Houari Moussa ;
Boudali Tarek né le 22/07/1980;
Bougouffa Ismail né le 08/07/1980;
Saadoune Riad né le 07/11/1977;
Sahari Nabil né le 18/07/1977;
Sahari Mohammed né le 12/05/1975;
Tehami Med Tahar né le 12/02/1984 …
Notons également que certains postulants retenus dans la liste des bénéficiaires n’ont même pas déposé de dossiers. C’est entre autres le cas de Mebarek Med Amine né le 30/03/1982). Le rapport de l’IGF rapporte aussi que les dossiers de plusieurs postulants retenus ont été déposés juste avant la date de réunion de la commission de wilaya ayant validé la liste des bénéficiaires au nombre de 3221 (PV du 10/03/2008), d’autres demandes ont été déposées même après cette date ; à titre d’illustration, il y a lieu de citer les exemples ci-après :
A titre d’exemple, nom et prénom Date de naissance Date de dépôt de la demande
Benzineb A/Rahmane 24/01/1984 02/03/2008
Tehami Med Tahar 12/02/1984 31/12/2007
Bessa Zakia 09/03/1964 19/04/2008
Aoufi Billel 27/09/1983 27/03/2008
Bendris Samir 26/05/1967 07/04/2008
Alouane Boualem 24/03/1959 13/03/2008
Certains parmi les bénéficiaires ne résident même pas dans la wilaya d’Alger, à l’exemple de Tehami Med Tahar (à Constantine) et Aoufi Billel. Toutes ces irrégularités ont été constatées et dénoncées par le rapport de l’IGF. Mais ce dernier n’a donné lieu a aucune poursuite judiciaire. Au contraire, la justice a fait la sourde oreille. Les gens de la Présidence, les enfants des hauts responsables du ministère du Travail ou du conseil d’administration du FNPOS, se sont accaparés plusieurs logements et aucun juge n’a bougé le petit doigt pour ouvrir une enquête. Le clan de Tayeb Louh, qui a “régné” sur le ministère du Travail et de la Sécurité Sociale pendant plus de 10 ans, a protégé le DG du FNPOS, Athmane Sebaâ, pendant très longtemps en dépit de toutes ces pratiques frauduleuses. Il aura fallu l’arrivée de Mohamed El Ghazi au ministère du Travail pour que M. Sebaâ soit limogé en avril 2015. Et depuis 2008, le FNPOS a distribué 13.700 logements sur un programme de 24.682 logements à l’échelle nationale. Et au regard de la gestion “mafieuse” du FNPOS, un nombre encore indéterminé de ces logements a été accordé à des personnes qui ne sont nullement dans le besoin. Et pendant ce temps, les vrais nécessiteux attendent depuis de longues années un toit décent.
L’article Documents. Comment l’entourage mafieux de Tayeb Louh a détourné des logements publics est apparu en premier sur Algérie Part.
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